Laissez-moi vous raconter une histoire. La scène se passe dans un restaurant en région parisienne. Je suis attablé avec deux chefs d’entreprise libanais, un ami entrepreneur français et son directeur opérationnel.
De passage à Paris, les Libanais sont en repas d’affaires pour convaincre des Français entrepreneurs de la viande de travailler avec eux. Installés dans un pays d’Europe de l’Est, les deux hommes appartiennent à une famille elle-même à la tête d’un empire qui ne pèse pas moins de deux milliards d’euros ; un vaste conglomérat très bien implanté notamment dans l’agriculture, de la fourche à l’assiette.
Le repas se passe agréablement. Je laisse passer la discussion pure business se faire, puis au moment du dessert je décide de poser une question : « Mais comment vous est venue l’idée de quitter le Liban pour aller vivre et surtout entreprendre dans ce pays d’Europe de l’Est ? »
Et là, je savoure la réponse, qui en substance fut la suivante : « J’ai entendu dire qu’il y avait des opportunités de business, alors j’ai décidé d’y aller. » L’homme ne parlait pas la langue du pays où il vit désormais. Il ne connaissait rien non plus au secteur d’activité dans lequel il prospère aujourd’hui. Ou plutôt faut-il dire aux secteurs d’activité, au pluriel.
A la tête d’un groupe qui totalise à lui seul un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, cet entrepreneur cultive des champs sur lesquels poussent des céréales, lesquelles servent de nourriture aux volailles qui pondent des oeufs et passent par les abattoirs du groupe pour finir dans la cinquantaine de supermarchés qui appartiennent aussi au groupe.
Mon voisin de table m’explique alors que c’est là une vision très libanaise du business ; état d’esprit qu’il me résumera en substance ainsi : « Là où un Allemand planchera pendant trois dans une étude de marché et ses tableaux Excel pour savoir s’il faut se lancer, le Libanais fonce. » Et d’ajouter : « Et s’il se décide à se lancer, il aura alors trois ans de retard sur moi. »
Si je vous raconte cette anecdote, c’est parce que lors de ma petite expérience d’entrepreneur j’ai rencontré pléthore de porteurs de projet qui croyaient plus en leur fichier Excel qu’en leurs propres capacités à réussir à monter puis à pérenniser leur entreprise.
On pourrait presque parler de « syndrome Excel« , particulièrement ancré chez celles et ceux qui ont fait des études. Il ne s’agit de nier ni l’importance d’une étude de marchés ni l’utilité de données chiffrées. Pour autant, je ne crois pas me tromper en affirmant que l’esprit d’entreprise est sinon sclérosé à tout le moins freiné par cette obsession presque scolaire. « Sans chiffres, je ne me lance pas ». « Sans business plan, c’est trop risqué ». Ou comment paradoxalement une heureuse intuition – « j’ai senti qu’il y avait là un vrai business » – va disparaître fauchée.
La faute à qui au juste ? Eh bien, je dirais tout à la fois :
– à l’école qui n’enseigne pas l’esprit d’initiative et transmet la peur de l’échec,
– à la dramatisation collective du chômage comme fatalité insurmontable,
– à un manque de valorisation de l’entrepreneuriat,
– évidemment aux esprits chagrins qui vous déconseilleront toujours de vous lancer
– et peut-être à cette volonté, très présente en France, de maîtriser son avenir tout en faisant de la sacro-sainte retraite l’alpha et l’omega de sa vie.
Et de me souvenir de ces lycéens qui ont manifesté lors de la mobilisation contre la réforme des retraites. Pas encore 18 ans et inquiets de combien ils toucheront à 65 ans. Tristesse et consternation.
Crédit photo : © Chris Potter
Salam, excellent article !
Pas besoin dexcel pour savoir si son projet est viable ou non, excel doit servir a y voir plus clair dans la repartition de son capital de départ je pense.
J’ai monter mon entreprise il y a maintenant 2 ans, sans toutes ces formalités qu’on nous apprend à l’école (et pas sans calculs non plus !) et à l’heure actuelle tout va bien al hamdoulilah. Ce n’est absolument pas une condition à la pérennité d’une entreprise, comme on a toujours voulu nous le faire croire.
Je suis absolument en accord avc cette article, j’ai monter plusieurs société sans tous ces tracas, par contre je dirais qu’une bonne étude sur la cible clientèles et les canaux de communications reste a faire…
Salam ‘aleykoum,
Comme on dit chez nous il faut « zram »
J’ai eu différentes idées de business que je n’ai pas pu réaliser à cause d’une certaine prudence. D’autres s’y sont lancés et connaissent un succès certain.
Un autre problème qu’on rencontre en tant que musulman est le financement.
Le seul business plan que je connaisse est la salât istikhara, et c’est d’une redoutable efficacité (pour peu que l’on comprenne son fonctionnement)…